Le lecteur est en droit de se demander quel lien peut exister entre des paysages aussi différents : climat, relief, nature des roches, tout paraît les opposer. Et pourtant l'examen du relief des îles, tout particulièrement de celui des canaux (kanal en croate) qui les séparent, va nous permettre de comprendre certaines particularités des dépôts dans les lacs alpins.
Mais rappelons tout d'abord en deux mots ce qui semble constituer une
particularité assez curieuse des dépôts dans le lac du Beaumont : leur
quasi-horizontalité et l'absence aussi bien de formes deltaïques que de
chenalisations, c'est-à-dire de formes obliques résultant des divagations de la
riviére. |
PARTONS TOUT D'ABORD SOUS LE SOLEIL DE LA COTE DALMATE ....
Les nombreuses îles qui agrémentent la côte croate - en particulier au large de la partie du rivage qui s'étende de Zadar à Dubrovnik - présentent un relief
remarquable, caractérisé par des vallées mortes
prolongée par des rias.
Mais, plutôt qu'au relief des îles, nous nous intéresserons ici à celui des canaux qui les séparent les unes des autres ainsi que du continent.
L'examen des cartes marines montre que ces trois canaux possédent un fond à la planéité surprenante, en très légére pente vers le large ( flèches bleues ). Canaux et iles passent couramment pour un exemple de relief jurassien. Ce type de modelé est-il susceptible d'expliquer cette planéité ?
Le Bracki Kanal (1), qui se poursuit au sud de Brac, par le Hvarski Kanal (2), passe, très régulièrement, entre Omish et le large, de - 60 mètres à - 100 mètres en 95 kilomètres, soit une pente moyenne et très réguliére de 0,42 pour 1000. Le Korkulanski Kanal ( 3 ), descend de - 50 mètres à - 72 mètres en 50 km, soit une pente moyenne de 0,44 pour mille. Enfin le Velebitski Kanal, au nord de Zadar ( non représenté sur cette carte ), passe de - 50 mètres à - 80 mètres en 70 km, avec donc une pente moyenne de 0,43 pour 1000, tout aussi réguliére que les précédentes. On ne peut manquer d'être frappé par la convergence de ces valeurs, d'autant plus que les autres canaux dalmates présentent des fonds beaucoup plus irréguliers. On remarquera que les trois canaux que nous venons de citer sont les seuls qui soient alimentés à l'amont par des rivières importantes : la Cetina ( flèche blanche ), dont le débouché dans la mer à Omish est particuliérement spectaculaire et la Neretva ( flèche noire ) et son delta. Nous proposons l'explication suivante :
Au fur et à mesure de la remontée du niveau marin se construit donc un empilage de telles couches, pourvu, bien entendu que le débit des apports solides soit toujours supérieur à la vitesse de création de l'espace disponible. On assiste là à la mise en place d'un intervalle transgressif ou peut-être d'un prisme de haut niveau (au sens de la Stratigraphie Séquentielle).
La surface des dépôts n'est toutefois pas exactement horizontale, mais voisine de 0,5 pour mille. Nous proposons d'appeler ces formations dépôts par faible profondeur. |
Deux questions se posent alors, auxquelles nous allons
tenter de répondre.
1 - Pourquoi une plaine littorale présente-elle une pente plus faible qu'une plaine alluviale ( 0,5 pour mille contre un à plusieurs pour cent)? On peut penser que la pente d'équilibre résulte en particulier de l'action des forces de frottement et de la gravité. |
..... AVANT DE REVENIR DANS LES ALPES Franchissons distances et durées et observons les dépôts du lac du Beaumont.Leur genése présente avec ceux des canaux dalmates une analogie qui nous parait pouvoir expliquer leurs facies peu courants : tous se sont tous produits lors d'une montée progressive des eaux. L'époque est différente, certes : pour le lac du Beaumont c'est l'arrivée du Würm II, et non pas la fin de la glaciation würmienne comme dans le cas des canaux dalmates. Mais des conditions analogues régnaient dans les deux cas : élévation progressive du niveau, due ici au barrage de la vallée du Drac par l'avancée du glacier de la Bonne. Le lac du Beaumont prend naissance, dont le niveau va s'élever lentement, engendrant à chaque instant un espace disponible, qui sera comblé en continu par les apports du Drac. Et, comme dans les canaux dalmates, les dépôts par faible profondeur vont donner naissance à une plaine littorale à la surface quasiment horizontale. A la décrue du Würm, l'érosion régressive du Drac enlévera la plus grande partie des dépôts, ne laissant subsister que quelques terrasses, en particulier celle de Saint-Sébastien. Des Goirands (876 m) aux Gauthiers (880 m), cette terrasse s'éléve de 4 m sur une distance de 4500 m, soit une pente de 0,9 pour mille, du même ordre de grandeur - compte tenu de la précision sur la définition des altitudes - que celle des canaux dalmates (0,5 pour mille), en tous cas très inférieure à celle d'une plaine alluviale. Plus en amont, la pente des terrasses devient plus importante (4 pour mille entre les Gauthiers et le début de la terrasse de Pellafol, puis 1,2 % pour cette derniére terrasse. Ceci semble indiquer que, dans la partie amont du lac du Beaumont, une partie des dépôts s'est produite, à l'air libre, sous forme de plaine alluviale. |
Nous citerons pour terminer un cas qui présente certaines
analogies de faciès, tant avec les dépôts des canaux dalmates qu'avec ceux du
lac du Beaumont : celui des pélites du Dôme de Barrot (vallée du Var). Ici également, on se trouve en présence d'un empilage de minces strates sédimentaires, sensiblement paralléles ente elles et ne présentant, ni talus deltaïques, ni chenalisations. Et ici également, ces sédiments se sont déposés dans un bassin en subsidence, donc dans des tranches d'eau de faible épaisseur, comme en fait foi la présence, à la surface des bancs, de nombreuses rides d'oscillation ( ripple marks ). Il n'est donc pas surprenant d'observer une certaine convergence des faciès, même si la nature des sédiments et leur age différent ( ceux du Barrot datent du Permien ) et si les déformations tectoniques ulrérieures ne permettent pas de connaître la pente de la surface originelle des dépôts. |