EPAULES ET SEUILS
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Il nous semble que certaines formes très caractéristiques que l'on rencontre en montagne peuvent être imputées à l'action des glaciers : les épaules et les seuils.


LES EPAULES GLACIAIRES


Dans certains cas, les épaulements d'une vallée glaciaire - que nous appellerons alors épaules - sont très sensiblement horizontaux et atteignent de très grandes dimensions.

Quelque exemples :

- l'épauke de Montfroid ( Eau d'Olle, Savoie )

Au-dessus d'un flanc d'auge d'une pureté géométrique, voici l'épaule de Montfroid, horizontale à ± 10 m près sur 500 m.
Les roches que l'on rencontre sur le fil de l'épaule sont assez diverses, ce qui élimine une origine purement lithologique.

Dans le coin inférieur gauche de la photo apparaît l'extrémité amont du lac de Grand'Maison, non recouvert de glace, car soumis à d'incessantes variations de niveau dues au fonctionnement de l'usine hydroélectrique.

Photo prise du col du Sabot ( Isère ).

- la crête de Tournoux au-dessus de la Condamine-Châtelard ( Ubaye, Hautes-Alpes ), horizontale à ± 20 m près sur une longueur de 1,5 km

- la Côte Névachaise ( vallée de la Clarée, Hautes-Alpes ), horizontale à ± 10 m près sur 1 km

- la crête des Guillets ( Saint Nizier du Moucherotte, Isère ), horizontale à ± 10 m près sur 2,5 km.
Dans ce dernier cas, toutefois, une origine structurale peut également être évoquée, car il s'agit du dos de la voûte sénonnienne enveloppant le célébre pli de Sassenage.
C'est une application de ce que nous disions en introduction, que l'on pourra relire ici

Ces épaules nous paraissent l'oeuvre des glaciers qui les ont franchies pendant de nombreuses glaciations, ainsi que le laisse supposer la relation entre leur altitude et celle de la surface de ces glaciers.
De plus, leur situation en crête ne permet pas d'imputer leur formation à une érosion non glaciaire.
Nous conviendrons toutefois ne pas comprendre, pour l'instant, comment l'action de la glace a pu engendrer des formes d'une pareille régularité.
La même remarque va s'appliquer aux seuils.




LES SEUILS GLACIAIRES

Nous appelons "seuils" des cols largement ouverts, caractérisés par une horizontalité quasiment parfaite, sur une longueur qui se chiffre en hectomètres ou en kilomètres.
Ces seuils nous paraissent constituer également une forme typiquement glaciaire, apparentée aux épaules.

En voici trois exemples :

- le seuil de Brié, près d'Uriage ( Isère ), horizontal à ± 10 m près sur 2 km

- le seuil de Laye ( Vallée du Drac, Isère )

Entre les deux flèches rouges s'étend le seuil de Laye, horizontal à ± 10 m près sur 2 km, que le glacier du Drac, à son maximum d'extension (au Riss ou lors d'une phase très ancienne du Würm) surmontait de 500 m.

Photo prise de la Route Napoléon, près de Corps ( Hautes-Alpes ).

- le Seuil Bayard ( Hautes-Alpes ), le plus remarquable, puisque, du col homonyme ( à l'ouest ), qui cote 1248 m, jusqu'au col de Manse ( 1269 m ), à l'est , il s'étend sur 4 km.
Ce seuil témoigne de la diffluence, à chaque glaciation importante, du glacier de la Durance en direction de la vallée du Drac.
À son maximum d'extension (au Riss ou à une phase très ancienne du Würm), l'épaisseur de glace sur le seuil atteignait 400 m, contre seulement 250 m au Würm récent.

A première vue toutefois, le seuil Bayard ne semble pas répondre au critère d'horizontalité parfaite que nous évoquions ci-dessus : entre les deux cols, la Crête Bayard s'élève jusqu'à 1351 m, soit 100 m plus haut que le col Bayard.
Mais les terrains qui constituent cette crête sont constitués de dépôts fluvio-glaciaires datant de la décrûe würmienne ; il s'agit d'un sandur latéral du glacier de la Durance, ainsi qu'en témoigne d'ailleurs le fait que, terrains peu fertiles, ils portent des forêts ( le Bois Bayard, dont le contour est souligné par des flèches sur la photo suivante ) et non des cultures.
Photo prise du Pic Queyrel
Il s'agit donc d'une forme de dépôt, surimposée à la forme d'ablation que constitue le véritable seuil sous-jacent.
Nous ignorons donc l'altitude exacte de celui-ci entre les deux cols, mais il n'est pas irréaliste de supposer qu'elle répond au critère d'horizontalité.

Photo prise de la crête de Charance.

Au même titre que les épaules, les seuils nous paraissent être l'oeuvre des glaciers, même si la nature des roches, bien entendu, a du jouer un rôle important.

Il semble que l'horizontalité des seuils est d'autant plus parfaite que la glace qui les franchissait était plus épaisse, peut-être parce que, de ce fait, ils furent plus longuement recouverts.