UTILISATION DES REPÉRES MORPHOLOGIQUES .....
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La plupart des formes d'érosion glaciaire que nous avons décrites dans les pages précédentes peuvent être utilisées comme repères morphologiques permettant de déterminer l'altitude de la surface des grands glaciers quaternaires.

L'étude des formes d'érosion -- tout au moins celle des formes majeures (auges, épaulements, gradins de confluence, sillons rocheux, etc) -- permet d'aller plus loin, dans la distance et dans le temps, que celle des formes de dépôts (moraines, terrasses fluvio-glaciaires, etc).
Celles-ci conservent cependant tout leur intérêt, car elles permettent d'effectuer des datations.
Les formes mineures (polis, stries, cannelures) peuvent également être utilisées, mais elles sont beaucoup plus sensibles à l'érosion par les agents atmosphériques et il est rarement possible de s'en servir au-delà du Würm
.

Même sur des roches cristallines, l'érosion, essentiellement chimique, fait en effet rapidement disparaître ces formes mineures. La surface du granite s'érode plus rapidement que les veines de quartz qui le sillonnent.
Des valeurs d'érosion de 10 mm par millier d'années sont souvent avancées.


Voici par exemple la surface d'une roche moutonnée dans la vallée de Bassiès (Pyrénées Ariègeoises).
Sur la surface du granite, érodée par 10 000 ou 20 000 ans d'intempéries, les veines de quartz apparaissent en saillie de plus d'un cm.







Les auges glaciaires et leurs rebords fournissent - lorsqu'ils sont clairement identifiables dans les paysages - des indications très utiles sur le niveau atteint par les glaciers.
Toutefois, dans le domaine couvert par cette étude, rares sont les vallées qui présentent une auge classique sur une certaine longueur (tel le Grésivaudan, par exemple).
Si l'on considère une vallée plus intérieure au massif on constate que le profil en travers glaciaire typique, en auge ou en V, composé d'un versant inférieur plus ou moins raide selon la dureté de la roche, surmonté d'un épaulement en pente plus douce, ne s'observe, en règle générale, que sur de courtes sections de la vallée, sur des arêtes descendues des sommets latéraux.

Ainsi, rive droite de l'Eau d'Olle, entre Allemont et le Rivier, le profil glaciaire typique ne se rencontre que sur les arêtes descendues de Belledonne et non tout au long du versant.
Revoir la vallée de l'Eau d'Olle

Le point le plus important, que nous soulignerons à nouveau, est que la présence fréquente sur les épaulements de dépôts morainiques, de roches moutonnées, et de sillons prouve qu'au pléniglaciaire la surface du glacier s'établissait quelque peu au-dessus du rebord d'auge.
L'épaisseur de glace sur le rebord d'auge nous est toutefois inconnue et sa valeur dépend de nombreux facteurs locaux.
Le positionnement de certains rebords d'auge par rapport à d'autres formes du modelé glaciaire voisines nous conduit à proposer une valeur de l'ordre de 100 à 150 mètres pour cette épaisseur.



Les gradins de confluence, par lesquels les glaciers affluents rejoignaient l'appareil de vallée, ne semblent pas pouvoir fournir d'indications utilisables.
Leur existence montre cependant le rôle de premier plan joué par l'érosion glaciaire dans le modelé des vallées alpines. Cette forme typiquement glaciaire n'a en effet pratiquement pas été retouchée lors des périodes interglaciaires, au cours desquelles les torrents se sont bornés à creuser des gorges de raccordement.




Les formes léguées par les diffluences fournissent, quant à elles, une indication supplémentaire, celle du sens de circulation des glaces.
On sait en effet [Monjuvent 1978] que les diffluences présentent en général un profil en long dissymétrique : raide du coté amont du flot de glace qui les parcourait, en pente douce sur le versant aval.
Le col de la Croix Haute, la Mateysine en fournissent de bons exemples, mais pas le col d'Ornon, ainsi que nous le verrons plus loin.




Les sillons marginaux, qu'ils soient d'épaulement et de diffluence, se révèlent des marqueurs morphologiques particulièrement utiles.

Situés au-dessus du rebord d'auge, les sillons marginaux rocheux et vallonnés ont pris naissance sous une faible épaisseur de glace.
La cote du fond du sillon le plus élevé fournira donc une indication intéressante sur l'altitude de la surface de la glace à cet endroit, si on est en mesure d'apprécier cette épaisseur.
La position de certains sillons par rapport à d'autres repères morphologiques voisins (moraines, roches moutonnées) nous amène à penser que cette épaisseur devait être de l'ordre d'une centaine de mètres dans le cas des sillons rocheux et d'une cinquantaine de mètres dans celui des sillons vallonnés.

Il faut noter toutefois que l'on rencontre parfois des sillons en dessous du rebord d'auge. Situés également sur des portions d'arêtes de pente inférieure à 21 %, ils ont pris naissance vraisemblablement lors d'un stade de retrait.
On peut citer, par exemple, les Déserts de Jean-Jacques Rousseau et de l'Écureuil, près de Grenoble [Monjuvent, 1978] ou encore le col des Combes (Page Durance, site D6).
Ces sites sont en nombre beaucoup plus faible que ceux du pléniglaciaire. La cause doit en être recherchée, pensons-nous, dans la rareté des portions d'arête de pente inférieure à 21 % situées sur les flancs d'auge.

L'observation d'un seul site ne permet pas de déterminer si les sillons qui le composent datent du pléniglaciaire ou d'un stade de retrait. C'est la comparaison avec l'altitude de sites voisins, à l'aide de graphiques tels que ceux utilisés dans cette étude qui permet de lever l'indétermination.



Au-dessus d'un site de sillons, particulièrement lorsque la pente du terrain y est supérieure à 21 %, on observe parfois sur quelques dizaines de mètres d'altitude des coups de gouge ou de petites terrasses, de dimensions métriques, parallèles au thalweg.
Ces formes peuvent sans doute être attribuées à un écoulement de glace sous une très faible épaisseur.



Les roches moutonnées sont un des indicateurs les plus fréquemment utilisés lorsque l'on cherche à déterminer la surface du pléniglaciaire ; elles recouvrent en effet les zones qui ont été soumises à l'abrasion par la glace.

Compte tenu de ce qui a été été dit un peu plus haut, on pourrait penser que les roches moutonnées, formes mineures d'érosion, ne sauraient être datées d'une glaciation antérieure au Würm.

Mais nous ferons ici une remarque, d'intérêt général d'ailleurs : on observe souvent mieux les phénomènes si l'on est à distance que « le nez collé dessus ». C'est un peu vrai dans tous les domaines. Dans celui qui nous intéresse ici, nous avons fréquemment constaté qu'un tas de cailloux se transformait en roche moutonnée lorsqu'on le regardait d'assez loin.
Nous pensons donc que la trimline, vue par exemple depuis l'autre versant d'une vallée et dans la mesure où elle traduit des formes de dimensions métriques, peut être représentative d'une glaciation antérieure au Würm, sans toutefois dépasser le Riss.

La haute vallée de la Romanche, en amont de La Grave, était occupée par un glacier qui s'élevait jusqu'au trait bleu. Sous cette ligne, tout ce versant de la Pointe Nérot a été modelé en roches moutonnées - érosion glaciaire - , alors que, plus haut, les roches sont déchiquetées par l'effet des cycles gel/dégel périglaciaires.

La flèche bleue indique le cheminement du glacier.

Photo prise depuis la route du col du Lautaret.
Il en est de même pour la Croupe, qui lui fait suite vers l'aval.
Ce dernier site, à 2600 m d'altitude, figure sous le repère R4 parmi les sites de la Romanche
.

En réalité les lignes bleues des illustrations ci-dessus correspondent au pléniglaciaire, (trimline des auteurs anglo-saxons), c'est-à-dire à la ligne qui joint les sommets des zones de roches moutonnées et qui marque la frontière entre les actions glaciaires et périglaciaires.
La surface du glacier au maximum de la glaciation s'élevait un peu au dessus de ce pléniglaciaire car les roches moutonnées ne peuvent prendre naissance que sous une certaine épaisseur de glace.
La valeur exacte de celle-ci est inconnue, mais on peut l'estimer à quelques dizaines de mètres [Florineth et Schlüchter, 1998].
Dans notre étude, nous avons retenu le chiffre de 50 m.

Les surfaces jadis recouvertes par un glacier peuvent également se reconnaître fréquemment à la teinte plus claire des roches, là où elles ne sont pas masquées par des éboulis.

Par dessus la crête des Rochers Rissiou (Vallée de Vaujany, Isère), soulignée par un tireté blanc, apparaîssent les Aiguilles de l'Argentiére (Vallée de l'Eau d'Olle, Isère et Savoie).
En dessous de la trimline (tiretés rouges), sur la surface occupée par les anciens glaciers, les pentes présentent un relief de roches moutonnées et un teinte nettement plus claire que le haut des versants.


Les stries ainsi que les cannelures sont enfin particulièrement intéressantes, car elles permettent, non seulement de reconnaître le passage d'un glacier, mais encore de déterminer l'orientation de l'écoulement. Quant aux lunules et aux abrupts d'arrachement, ils permettent en outre de connaître également le sens de celui-ci.



Les moraines latérales, dont les crêtes subsistent parfois sur les flancs des vallées, sont de bons repères morphologiques. Mais, par suite de l'érosion postglaciaire qui s'est exercée sur ces versants souvent très inclinés, de telles formations sont rares dans les hautes vallées.

En voici cependant une, qui présente la particularité de dater du Riss et que j'ai déjà décrite à la page Les Dépôts Glaciaires

La diffluence qui, au Riss, empruntait la vallée de Vaujany (Isère) en franchissant le col du Sabot a déposé, sous les Rochers Rissiou, une moraine latérale. C'est le site des Rochers Motas (E6) cité à la page Eau d'Olle.
La flèche bleue montre le cheminement du glacier, les flèches blanches la crête de la moraine, alors que les flèches rouges suivent le tracé de trois éboulements qui l'ont détruit localement.
En dessous de la moraine, les pentes présentent une couleur verte (il s'agit de myrtilles, mais que cela reste entre nous !!), alors qu'au dessus d'elle, le flanc de la montagne est couvert d'éboulis .
A titre d'amusement, j'ai demandé à mon programme de dessin de transposer en blanc la couleur verte ,..... et voici le résultat, directement sorti de l'ordinateur.
Je me suis borné à rajouter quelques crevasses, "pour faire plus joli" .....
C'est une preuve par l'image - s'il en était besoin - que les moraines latérales permettent de retrouver la surface du glacier disparu.



Les dépôts glaciaires sans morphologie particulière, provenant d'anciennes moraines latérales érodées après le départ des glaciers ou de moraines de fond, ne peuvent fournir qu'une valeur inférieure de cette altitude : l'érosion postglaciaire a pu, en effet, ramener leur sommet bien plus bas que la crête de la moraine d'origine.
Notons toutefois que, dans le domaine qui nous occupe, l'intérêt d'un dépôt glaciaire n'est pas fonction de son volume. Quelques éléments suffisent, à condition toutefois que l'on soit certain qu'ils ne sont pas d'origine anthropique.

Nous sommes ici dans la vallée du Petit Tabuc, affluent de la Guisane (Hautes-Alpes).
C'est la haute montagne, le domaine des rochers, de la pierre. Pour venir ici, notre sentier - plus d'ailleurs une simple trace qu'un vrai sentier - a traversé un immense éboulis, le Dégoulou (l'endroit des avalanches), sans aucune végétation.
Et puis, soudain, la pente s'adoucit, se couvre de verdure.
Aucune pierre n'émerge de la prairie, aussi incongrue, dans ce cadre sévère qu'une oasis au milieu d'un désert de sable.
De l'autre coté de la vallée, la Montagne des Agneaux (3664 m) et l'étroit Couloir Davin sont là pour nous rappeler que nous nous trouvons pourtant bien en altitude.
Nous sommes aux Planes du Dégoulou sur un lambeau de terrain glaciaire que sa situation dans ce site protégé a préservé de l'érosion postglaciaire et qui va nous fournir un repère morphologique particulièrement intéressant.
Il montre en effet l'importance de la chute de séracs qui, d'ici jusqu'au Monêtier-les-Bains, emplissait l'étroiture du Petit Tabuc (voir la carte des environs du Lautaret.
Le sommet de l'épaulement des Planes cote 2490 m, au dessus d'un rebord d'auge à 2420 m. C'est le site DA11 de la page Durance.

Pour les moraines comme pour les dépôts glaciaires, il convient, bien entendu, d'être certain qu'elles ne sont pas l'œuvre de glaciers affluents, toujours plus élevés que le glacier de vallée ; on ne retiendra donc, pour déterminer l'altitude de ce dernier, que celles de ces formes qui se situent sur des arêtes descendues des sommets latéraux.



Du fait de leur teneur en argile, nous l'avons vu, ces dépôts glaciaires sont très propices aux cultures, à tel point que le tracé de l'ancien glacier se lit souvent dans celui des champs et des pâturages.

Enfin la végétation naturelle actuelle, par ses associations végétales, peut fournir des indications intéressantes, par exemple dans le cas où des dépôts comportant des éléments siliceux recouvrent un substratum calcaire.



.....ET APPLICATION DE L'ANALYSE MORPHOLOGIQUE GLACIAIRE

Une des principales utilisation de cette méthode d'analyse est la datation des dépôts et la détermination de leur origine.
Deux exemples :

La moraine de Coste Longue (Bassin du Drac, Hautes-Alpes)

Sans déflorer ce sujet, nous verrons, à la page consacrée au
Bassin du Drac, que cette magnifique moraine, une des plus longues des Alpes françaises, date d'un stade de retrait et non du pléniglaciaire würmien.
Sur l'autre rive du Drac, les dépôts supérieurs des Marrons (Saint-Michel-de-Chaillol), à 1580 m, nous semblent de même dater du Würm et non du Riss, comme il est admis jusqu'à présent.


Les dépôts du Beaumont (Bassin du Drac, Isère)

Au Würm, un glacier occupait la vallée de la Bonne, affluent du Drac (Isère).
Dans sa partie inférieure, ce glacier venait barrer le cours du Drac, créant un lac dans lequel se sont accumulés les dépôts qui constituent en particulier la terrasse de Pellafol (citée à la page les dépôts lacustres.)
Le vallum terminal würmien du glacier de la Bonne se situait à la colline de Péchaud (au sud de La Mure) (928 m).
Si on remonte la surface de ce glacier en appliquant la formule à partir de ce vallum, on parvient à l'altitude de 1350 m environ à l'aplomb du col de la Chainelette (Valbonnais).
En réalité, du fait de l'étroitesse de la vallée de la Bonne au Pont du Prêtre, la surface du glacier devait se situer à un niveau quelque peu supérieur.
Du col de la Chainelette (1326 m) au col de Pierre Grosse (1322 m), l'arête est du Signal de Saint Michel voyait donc passer, au Würm, une diffluence dirigée vers le Beaumont.
Il nous paraît donc probable que les blocs erratiques signalés dans ces parages ont été déposés au Würm et non au Riss, de même que, un peu plus loin dans le Beaumont, les dépôts de Saint-Michel-en-Beaumont et du col de l'Holme .


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