LE LAC WÜRMIEN DU BEAUMONT
Plantons le décor : il est très différent de ce que nous pouvons voir de nos jours. Car, depuis le retrait des glaces wurmiennes, une érosion très intense s'est exercée sur les flancs est et nord du Serre des Aires et le lit actuel du Drac s'est déplacé de plus de 500 mètres vers l'ouest et le sud.
Le Drac a en effet, au cours des dernières centaines de milliers d'années, occupé plusieurs lits successifs " fossiles ", chacun d'eux correspondant à un interglaciaire.
Cette question particulièrement intéressante, car il s'agit d'un phénomène peut-être unique au monde, fera l'objet ultérieurement d'une page spéciale.
En lever de rideau donc, le Drac coule donc dans son lit fossile Riss- Würm, 500 m plus à l'est qu'actuellement.
Acte Premier
Entrée en scène du Würm.
Après le Würm I, période froide mais au cours de laquelle les glaciers n'ont qu'une extension réduite, ceux-ci atteignent leur amplitude maximum au Würm II.
Le glacier de la Bonne, descendu de ses montagnes, s'étale sur la région de La Mure et sur le Beaumont.
Vers La Mure, il atteint la base de la colline du Paradis, dont il n'est séparé que par le torrent latéral qui draine les eaux de fonte de la diffluence du glacier de la Romanche occupant la Mateysine.
Dans cette région, la crête du vallum terminal de ce glacier s'élève à 939 m à la Croix Neuve (au nord de Roizon), à 940 m à la Citadelle et à 929 m à Péchaud.
Le glacier, dans ses derniers kilomètres de parcours, atteint le cours du Drac, qu'il vient barrer.
Mais jusqu'où s'étend-t-il alors vers l'amont de la vallée du Drac ?
A première vue, trouvant là un espace libre suffisant, il aurait dû, au maximum du Würm, remonter de plusieurs kilomètres en amont du confluent Bonne - Drac.
Ce n'est pourtant pas le cas : les dépôts lacustres de la rive gauche qui, sous la terrasse de Saint-Sébastien, s'étendent jusqu'au barrage de Saint-Pierre Cognet et, surtout, sur la rive droite, ceux des Terrasses, montrent que le lac atteignait au moins vers l'aval une ligne Barrage Saint-Pierre Cognet / les Terrasses.
Or l'application au glacier de la Bonne de la formule de Nye-Lliboutry conduit à une épaisseur de glace de 200 m environ à cet endroit, incompatible, bien entendu, avec la présence d'un lac.
Que se passait-t-il donc ici ?
La réponse se trouve, pensons-nous dans l'encadré Vie et mort d'un lac glaciaire de la page "Les dépôts lacustres", auquel nous renvoyons le lecteur et qui montre que les dépôts dans un lac peuvent s'effectuer selon trois modalités :
lac, playa ( ou plaine alluviale ), ou dépôts par faible profondeur ( ou plaine littorale ).
Dans le premier cas, les eaux du lac attaquant la base du glacier, celui-ci se terminait par une falaise de glace ( cas du lac du Miage actuel)
C'est l'examen des dépôts dans le lac - tout au moins de ce qu'il en reste sous forme de terrasses - qui peut nous donner une réponse : ils sont formés ici de couches alternées d'argiles, de sable et de graviers, très sensiblement horizontales et sans traces de dépôts deltaïque et peu ou pas de chenalisations
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La terrasse inferieure de Pellafol, vue de la route du Mas |
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Certaines couches montrent des chenalisations, mais elles sont peu fréquentes . |
Le lac du Beaumont a donc, nous semble-t-il, été comblé essentiellement par desdépôts par faible profondeur, s'édifiant au fur et à mesure que le niveau du lac s'élevait au cours de l'avancée du glacier de la Bonne.
On pourra trouver d'autres renseignements sur ce lac du Beaumont, qui, curieusement, résultent d'observation faites loin des Alpes, dans les iles dalmates.
Des canaux dalmates au lac du Beaumont
Quoiqu'il en soit ce lac servait de bassin de pré-décantation pour le lac du Trièves, en arrêtant la plus grande partie des dépôts grossiers. Son niveau a culminé à 873 m environ, altitude de la terrasse de Saint-Sébastien.
Ce schéma nous semble respecter au mieux les indications des cartes géologiques ainsi que les observations que l’on peut faire sur le terrain , en particulier la quasi horizontalité des dépôts de la terrasse de Pellafol.
Les eaux de surverse du lac s'écoulaient entre le versant est du Serre des Aires et la moraine frontale du glacier de la Bonne (voir la figure 1).
Cette disposition est très fréquente.
On peut l'observer, par exemple dans l'Isère, à La Mure, entre la colline du Paradis et la moraine du Calvaire ou encore à Gresse.
C'est également le cas de l'écoulement actuel de la Doire lorsqu'elle contourne les langues frontales des glaciers du Miage italien et de la Brenva, dans le Val Veni (Val d'Aoste).
Cet écoulement a laissé des traces bien visibles dans le paysage, les arrachements du Bois Ribay, dans la face est du Serre des Aires, qui culminent à 870 m environ, c'est-à-dire la même altitude que la terrasse de St Sébastien ( voir à ce sujet la page Erosions d'origine glaciaire )
Plus en amont, la vallée du Drac était - toujours au maximum du Würm II - barrée par le glacier de la Séveraisse, descendu du Valgaudemar.
En remontant encore la vallée, en pénétrant donc dans le Champsaur, vous vous seriez heurtés au front du glacier du Drac, à Saint Eusèbe, quelques kilomètres en aval de Saint Bonnet en Champsaur.
Acte 2
Le lac du Beaumont se comble entièrement, puis le glacier de la Bonne recule dans son berceau de montagnes.
Le Drac continue à couler contre le Serre des Aires, dans ce qui devient le chenal des Goirands, chenal complètement différent des chenaux rissiens vus ci-dessus, car ici, le Drac coule sur des sédiments et non pas sur le substratum rocheux, le bedrock.
Acte 3
L'érosion s'attaque aux versants du Serre des Aires. La tête du chenal des Goirands recule jusqu'à son emplacement actuel.
Acte 4
Le Würm connait une récurrence, les glaciers avancent à nouveau, c'est le Würm III. Le glacier de la Bonne s'avance sur ses précédents dépôts et y construit de petites moraines frontales et latérales, en particulier sur le Serre de l'Aigle.
Acte 5
L'érosion régressive du Drac enléve la
plus grande partie des dépôts lacustres, ne laissant subsister que quelques terrasses, dont la plus importante est celle de Saint-Sébastien. Des Goirands (876 m) aux Gauthiers (880 m), cette terrasse s'éléve de 4 m sur une distance de 4,5 km, soit une pente de 0,9 pour mille, du même ordre de grandeur - compte tenu de la précision sur la définition des altitudes - que celle des canaux dalmates (0,5 pour mille), en
tous cas très inférieure à celle d'une plaine alluviale.
Plus en amont, la pente des terrasses devient plus importante (4 pour mille entre les Gauthiers et le début de la terrasse de Pellafol, puis 1,2 % pour cette derniére terrasse.
Ceci semble indiquer que, dans la partie amont du lac du Beaumont, une partie des dépôts s'est produite, à l'air libre, sous forme de plaine alluviale.
L'érosion régressive capture le Drac et lui fait gagner son lit actuel.
Ce schéma, certes encore partiellement du domaine de l'hypothèse et qui mériterait d'être complété, nous paraît être celui qui s'adapte le mieux aux observations sur le terrain, tout en respectant les lois d'écoulement de la glace.
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