LES DIFFLUENCES DE SAINT-NIZIER-DU-MOUCHEROTTE (Isère)
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Situons tout d'abord les lieux, c'est à dire la partie ouest de l'ombilic grenoblois.


SITUATION DE SAINT-NIZIER-DU-MOUCHEROTTE
DANS L'OMBILIC GRENOBLOIS


Le glacier würmien de l'Isère, grossi de celui de la Romanche, s'écoulait, entre le Moucherotte et le Mont Rachais, en direction de Voreppe.
Au maximum de cette glaciation, la surface du glacier dépassait légérement le niveau de la crête de ce dernier sommet (1038 m), sur lequel se sont déposées, sans doute lors d'un stade de retrait précoce, des moraines séparées par des chenaux de fonte.






LA DIFFLUENCE WÜRMIENNE

La diffluence du glacier würmien au-dessus du plateau des Guillets a été bien étudiée par G. Monjuvent (1978) et nous nous contenterons ici de reprendre ses conclusions.

A son maximum, le glacier dépassait légérement le niveau du plateau des Guillets, sur lequel s'écoulait donc une faible partie de ses glaces superficielles. Le flot principal de glace contournait le Mollard Gargot et envoyait une langue remonter la vallée du Furon jusqu'aux environs d'Engins.
Les deux flots de glace ne se rejoignaient pas et restaient séparés par une zone de terrain nu.
Les eaux de fonte superficielle, après avoir creusé les chenaux des Roux (E) et de Rochetiére (F), dévalaient la pente en direction du thalweg du Furon, en s'infiltrant sous la glace qui l'occupait.
Rencontrant en chemin les escarpements de Sénonien calcaire, elles y ont creusé plusieurs gorges (la Combe de Lavaresse (A), le canyon du Pas du Curé (B) (dénommées par G. Monjuvent "canyons proglaciaires"), mais non le Pas de la Corne (C)) qui est, lui, d'origine rissienne.
Vu des Merciers, le plateau de Saint-Nizier-du-Moucherotte, dont le rebord est échancré par les gorges würmiennes du Pas du Curé et de la Combe de Lavaresse.

Photo non renseignée



LA DIFFLUENCE RISSIENNE

Mais l'étude de G. Monjuvent ne fait pas mention du glacier rissien.
Est-il possible de retrouver dans les paysages des traces du passage de celui-ci ?

Les environs de Saint-Nizier présentent trois formes de relief caractéristiques qui nous paraissent toutes trois imputables au passage du glacier rissien :
Tout d'abord, en haut de la Combe de la Jaille, on remarque la présence d'un beau vallum frontal - tracé en rouge sur la photo ci-contre - et dont la crête s'incurve, de la Croix Ferrée (1158 m) jusqu'à la colonie de vacances près de La Tour (1159 m).
La Combe de la Jaille échancre largement ce vallum en son centre, signe d'un écoulement d'eau important, qui ne saurait provenir du minuscule bassin d'alimentation.

La carte géologique au 1/50 000 Vif considére ces dépôts comme du glaciaire local ; mais nous concevons mal des dépôts d'une pareille importance - plus de 80 m d'épaisseur - à l'aval d'un bassin d'alimentation aussi réduit et qui, de plus, ne présente pas les formes caractéristiques d'un cirque glaciaire.
Ils ne sauraient non plus provenir d'un glacier local important qui aurait occupé le Val de Lans, glacier qui n'a jamais existé au Würm.
Enfin, leur éloignement de Saint-Nizier-du-Moucherotte, ainsi que leur altitude, montre que ces moraines n'ont pas été apportées par le glacier würmien de l'Isère diffluent au dessus du plateau des Guillets.

Nous pensons donc qu'elles proviennent de la diffluence rissienne de l'appareil isèrois, à qui son altitude - supérieure à celle de son homologue würmien - permettait de franchir l'arête nord du Moucherotte puis le petit col de Malloroux (1210 m).
La présence d'éléments alpins (cristallins) dans cette moraine suffirait à montrer qu'il ne s'agit pas d'un dépôt local. Mais elle est dépourvue de tout matériel de surface, signe d'ailleurs de son ancienneté.

Le vallum de la Jaille, vu de la Croix Ferrée. Le pointillé blanc suit la crête de la moraine, en s'abaissant en son centre, dans le thalweg de la Jaille.
En second lieu, au sud du Pas de la Corne, derniere combe würmienne, la falaise des Rochers de Fangasset esr entaillée par de nombreuses gorges très inclinées, les plus importantes étant la Combe de la Jaille et la Combe de l'Ours, mais il y en a bien d'autres moins importantes.
Ces ravins sont très semblables aux "canyons proglaciaires" würmiens évoquée ci-dessus.
Plus au sud, passée la Combe de l'Ours, plus aucune gorge ne vient entailler les falaises, jusqu'au vallon du Bruyant dont nous parlerons plus loin.

Ces gorges ne sont pas dues à l'érosion par les eaux de fonte de la diffluence würmienne, qui n'est parvenue jusque là, ni par les maigres écoulements locaux, actuellement inexistants, mais nous paraissent avoir été creusées par les eaux de fonte rissiennes.
Elles prennent fin d'ailleurs, avec la Combe de l'Ours, que nous pensons donc avoir été creusée par les eaux s'échappant par un chenal, sur le coté du vallum frontal de la Jaille.
Photo non documentée
Dernière forme de relief caractéristique, l'arête nord du Moucherotte, qui, descendant de ce sommet vers Saint-Nizier, présente, dans sa partie inférieure, un profil caractérisé par deux segments de droite en pente douce, AB et CD.
De B à C, la pente se redresse, de même qu'au-dessus de D.

Ce profil présente donc deux épaulements superposés, qui nous paraissent d'origine glaciaire ; l'épaulement inférieur AB ou "épaulement de Saint-Nizier" serait würmien et se terminerait en B, à 1100 m d'altitude.
Nous avons en effet dit à la page "les vallées" que la surface d'un glacier s'élevait quelques dizaines de mètres environ au dessus du sommet d'un épaulement, ce qui mettrait le glacier würmien à cet endroit aux environs de 1150 m, légéremenr supérieur au chiffre donné par G. Monjuvent (1100 m).
L'épaulement supérieur CD ou "épaulement de la Roche", qui se termine en D, à 1250 m d'altitude, serait alors rissien.



ALTITUDE DE SURFACE DU GLACIER RISSIEN

Deux des trois formes caractéristiques que nous venons de décrire permettent de calculer l'altitude du glacier rissien.
Ce sont :

1 - Les dépôts glaciaires de la Jaille

La formule qui donne l'altitude de surface d'un glacier peut s'appliquer ici, compte tenu de la largeur de la diffluence rissienne, sous réserve toutefois de l'effet de langue.

Le calcul montre alors que le glacier responsable du dépôt de ce vallum de la Jaille, d'altitude 1159 m, devait présenter, lorsqu'il franchissait l'arête nord du Moucherotte, à 1000 m de là - c'est-à-dire sur le bord de l'ombilic de Grenoble - une altitude égale ou très légérement inférieure à 1300 m, suffisante toutefois pour lui permettre de franchir, 250 m plus loin, le col de Malloroux (1210 m).
Toutefois, au maximum du Riss, le plateau de Saint-Nizier-du-Moucherotte se trouvait entiérement recouvert de glace et aucun dépôt ne pouvait s'y produire, ce qui nous amène à dater la formation du vallum de la Jaille d'un stade de retrait précoce, lorsque, le niveau du glacier baissant, les glaces diffluentes n'ont plus rejoint celles du Furon.
En conséquence, la prise en compte du vallum de la Jaille conduit à une altitude de surface du glacier rissien sur l'arête nord du Moucherotte de l'ordre de 1300 m.

2 - L'arête nord du Moucherotte

Nous avons vu que cette arête présente deux points d'inflexion , l'un à 110O m d'altitude, l'autre à 1250 m, que nous interprétons comme les sommets de deux épaulements des deux derniéres glaciations.
L'épaulement supérieur, celui de la Roche, s'étend de 1150 à 1250 m.
En appliquant la page Profil en travers des vallées et en tenant compte, comme ci-dessus, d'une épaisseur de glace de 50 m sur les sommets d'épaulements, nous sommes conduits à attribuer au glacier würmien une altitude de surface de l'ordre de 1150 m, parfaitement admissible, nous l'avons vu
Pour le glacier rissien, la prise en compte de la base de l'épaulement nous conduit à une altitude des glaces de 1150 + (100 à 150 m) = 1250 à 1300 m.
Enfin, l'utilisation du sommet de l'épaulement nous fournit l'altitude de 1250 + 50 = 1300 m

D'autres valeurs de l'altitude du glacier rissien sur Grenoble résultent de la prise en compte de :

3 - l'avancée de ce glacier dans la plaine de la basse Isère (voir à ce sujet la page la basse vallée de l'Isère.
Les études de G.Monjuvent, qui fixent l'emplacement du vallum terminal 56 km en aval de Grenoble conduisent à une altitude du glacier rissien au-dessus de l'ombilic grenoblois égale à 1300 m.
Mais, nous l'avons vu, il ne subsiste aucun vestige de ce vallum et nous ignorons comment G.Monjuvent a pu déterminer son emplacement. Nous noterons toutefois que les dépôts du Coing de Montaud, étudiés plus loin dans cette page, se situent convenablement sur la surface calculée en tenant compte du chiffre de 56 km, ce qui conforte donc la valeur de 1300 m.

4 - l'avancée du glacier dans la plaine de la Bièvre-Valloire, également étudiée à la page la basse Isère ne fournit pas, par contre, de valeur utilisable.
Pourtant, le vallum rissien est ici identifiable. Il se situe, nous l'avons vu, 3,8 km à l'est de Beaurepaire, soit à 55 km de Grenoble.
En prenant en compte une altitude de 320 m, le calcul méne à la valeur de 1368 m sur Grenoble. Mais ce résultat demande à être corrigé pour tenir compte d'un effet d'étalement, sensible en Valloire, où la vallée atteint une largeur de 10 km, à comparer avec celle de 4 km au-dessus de Voreppe.
Cet effet diminue la pente de surface du glacier et conduit donc à des valeurs réelles de l'altitude inférieures à celles calculées, mais nous ignorons dans quelle mesure.
Nous pouvons donc seulement avancer que la surface du glacier se situait plus bas que 1368 m.

5 - Enfin, notons que, dès 1860, C.Lory avait signalé la présence de blocs erratiques sur les pentes du Moucherotte, retrouvés ultérieurement par A.Falsan et E.Chantre en 1879 (in Monjuvent, 1979).
Ces blocs se situent à 1300 m, qui constitue donc une valeur minimale de l'altitude du glacier.

En résumé, les valeurs sont les suivantes :
1 - 1300 m environ
2 - 1250 à 1300 m et
- 1300 m
3 - 1300 m
4 - inférieur à 1368 m
5 - supérieur ou égal à 1300 m


Ces valeurs convergeant, nous pouvons conclure, rejoignant le chiffre de G.Monjuvent, que la surface du glacier rissien sur Grenoble se situait sensiblement à 1300 m.




Voici donc une vue d'artiste (hum, hum), montrant l'aspect du plateau de Saint-Nizier-du-Moucherotte au pléniglaciaire rissien.
Recouvrant le plateau (l'épaisseur de glace atteignait 250 m au dessus des Guillets, 150 m à la verticale de Saint-Nizier-du-Moucherotte), les glaces de la diffluence rejoignaient celles qui remontaient la vallée du Furon, en direction du Val de Lans.

Photo non documentée




JUSQU'OU LE GLACIER RISSIEN S'AVANCAIT-IL DANS LA VALLEE DU FURON ?

Atteignait-il le Val de Lans ? La carte géologique au 1/50000 VIF ne fait mention d'aucun dépôt rissien dans cette région.
Des indices - qui seront prochainement controlés sur le terrain - nous incitent à penser que le vallum terminal rissien se situe à la verticale de Lans-en-Vercors, masqué par les alluvions fluvioglaciaires postwürmiennes figurant sur la carte.

Ce village s'allonge en effet, à une altitude de 1004 à 1020 m environ, sur une crête rectiligne barrant complétement la vallée.
Au nord prend naissance la vallée du Furon, cependant qu'au sud, les alluvions postwürmiennes et récentes ont comblé l'ancien lac glaciaire et postglaciaire.
Au nord, le bedrock de calcaires à silex maëstrichtiens apparait à l'Olette, à 1200 m de Lans-en-Vercors, à la cote 960 m, laissant donc une place disponible pour un vallum terminal haut d'une quarantaine de mètres ( vallum rissien car, bien évidemment, le glacier würmien n'est pas venu jusqu'ici).
C'est ce vallum qui, selon nous, formait le barrage qui retenait le lac du Val de Lans.
Au nord de Lans-en-Vercors, la vallée du Furon montre encore deux embryons de barrages, vestiges sans doute de vallums terminaux de stades de retrait du glacier rissien, celui des Falcons (1012m) et celui de l'Olette (1008 m).



ET QU'EN-EST-IL DU VALLON DU BRUYANT ?

A mi-chemin entre Saint-Nizier-du-Moucherotte et Lans-en-Vercors, la falaise qui forme la rive droite des gorges du Furon est interrompue par le vallon du Bruyant, bien connu des promeneurs grenoblois.
La disposition des lieux n'est pas sans rappeler celle de la Combe de la Jaille. Ici aussi, dans le haut du vallon du Bruyant, deux crêtes s'avancent l'une vers l'autre en arc de cercle, sensiblement au même niveau, de la Croix de Lichou (1109 m) jusqu'à Pierregraine (1135 m).
De même qu'à la Combe de la Jaille, ce dispositif évoque à nos yeux un vallum terminal éventré par les eaux glaciaires et postglaciaires, mais il s'agit ici d'un glaciaire local, comme l'indique d'ailleurs la carte géologique au 1/50 000 Vif.
Nous rejoignons cette conclusion, car les pentes qui, jusqu'au sommet du Moucherotte (1901 m), dominent le vallon du Bruyant, présentent bien la forme caractéristique d'un cirque glaciaire (pentes raides dominant un fond de cirque en pente plus douce).

Nous proposons donc la chronologie suivante :

Au pléniglaciaire du Riss, ce glacier de cirque du versant ouest du Moucherotte rejoint celui remontant la vallée du Furon. Sous cette surface de glace continue, aucune forme glaciaire de dépôt ne peut prendre naissance.
A la décrue des glaciers rissiens, les deux appareils se séparent et le glacier du Moucherotte peut, de la Croix de Lichou à Pierregraine, contruire son vallum terminal.
Plus tard, lors de la glaciation würmienne, les glaces provenant de l'Isère ne parviendront pas aussi loin dans la vallée du Furon et le glacier de cirque du Moucherotte pourra poursuivre l'oeuvre amorçée au Riss.
Tant pendant les glaciations qu'entre celles-ci, les eaux sous-glaciaires et postglaciaires auront tout loisir pour creuser le vallon du Bruyant.



REMARQUE CONCERNANT LA DATATION DES DEPOTS

L'affectation des dépôts aux glaciations du Würm et du Riss a été faite en tenant compte des idées couramment admises à ce jour (2003).
Ainsi qu'il sera exposé plus en détail à la page Détermination de la glaciation responsable du modelé glaciaire, il est possible que ce que nous avons appelé Riss dans les lignes ci-dessus soit à imputer, en réalité, à une phase ancienne de la glaciation würmienne, vers 60 -- 75 Ma.
Nous reviendrons sur ce sujet des que la question sera clarifiée.


CONCLUSION

Les lignes qui précédent montrent tout l'intérêt que présente l'étude de de ces diffluences : comme dans le cas de celles de Montaud, il est possible ici de distinguer l'oeuvre des glaciers würmiens de celle de leurs prédecesseurs.
Plus en amont dans les vallées, ceci devient de plus en plus difficile, les surfaces des glaces au cours des glaciations successives étant de plus en plus proches au fur et à mesure que l'on s'éloigne des fronts glaciaires.

Elles permettent également d'apprécier l'efficaciré de l'approche théorique, même appliquée à des masses de glace bien plus modestes que les immenses glaciers de vallées.